L’athlétisme britannique n’aura pas attendu le cœur de l’hiver pour entrevoir les premières secousses d’une saison en salle qui s’annonce dense. À peine décembre entamé, plusieurs résultats enregistrés à Loughborough et Lee Valley ont suscité une attention inhabituelle pour une période traditionnellement dominée par les mises en route prudentes.

Jody Smith : un 6’’52 qui change la perspective
Au départ, rien n’indiquait que Jody Smith deviendrait l’un des premiers noms à marquer ce début d’hiver. À 25 ans, le sprinteur présente le profil du sprinteur solide sur la ligne droite, mais jamais considéré comme un poids lourd du sprint indoor. Son record personnel à 6’’74 reflétait une progression régulière, sans la moindre allusion à un bond chronométrique d’envergure. Et pourtant, c’est bien ce qui s’est produit lors du Loughborough Indoor Open, où Smith a signé 6’’52, un temps qui l’a immédiatement fait basculer dans une autre dimension. Réduire de 22 centièmes un record personnel à ce niveau relève presque de l’exceptionnel. Peu de sprinteurs de 25 ans parviennent à réaliser un tel saut qualitatif en une seule sortie. En l’espace de quelques secondes, Smith est passé du statut d’outsider à celui de nouvelle menace crédible sur la scène britannique, voire plus. La performance, loin d’être isolée, a d’ailleurs été confirmée dès sa seconde course avec un 6’’58, preuve qu’il ne s’agissait pas d’un alignement favorable rare mais bien d’un niveau réel, reproductible, et annonciateur d’un hiver particulièrement dense. Avec ce chrono, Smith a d’ores et déjà obtenu le standard britannique pour les Mondiaux en salle 2026, ce qui change considérablement son statut. Au sein d’un sprint britannique déjà animé par la présence d’athlètes comme Jeremiah Azu, champion du monde du 60m en 2025 ou Andrew Robertson, l’expérimenté athlète spécialiste de l’indoor, son irruption fait figure de souffle nouveau. Le plus fascinant reste sans doute l’interrogation désormais présente chez les observateurs : jusqu’où peut-il descendre ? Sous les 6’’50 paraît soudain une possibilité sérieuse, et l’idée d’une présence en finale mondiale n’est plus une exagération puisque ce que Smith vient de produire à Loughborough dépasse largement le cadre du simple record personnel amélioré.
Une nouvelle vague irrésistible : Maguire s’envole, Obinna-Alo réécrit l’histoire
L’autre moitié du récit de ce début d’hiver s’écrit du côté de l’émergence, avec d’un côté un jeune sauteur qui bouscule déjà les bases du saut en longueur britannique, et de l’autre une sprinteuse de 15 ans qui fait tomber un record national vieux de près de vingt ans.
À Loughborough, Michael Maguire, né en 2010, a signé un impressionnant 7,41 m en salle, soit la deuxième meilleure marque britannique U17 de l’histoire derrière les 7,53 m de Dominic Ogbechie en 2018. Une telle performance chez un athlète âgé d’à peine 15 ans dépasse la simple mention prometteuse : elle provoque un véritable changement d’échelle. Le saut en longueur britannique est possiblement sur le point de connaître une période faste, illustrée l’été dernier par le 7,80 m de Daniel Emegbor lors des championnats d’Angleterre U18. L’apparition de Maguire dans cette continuité renforce encore l’idée que la profondeur du vivier est peu commune. Ce qui frappe dans son saut, au-delà de la distance, c’est la précocité de la structure technique. Peu de jeunes sauteurs affichent un tel contrôle dans la prise d’élan, une telle capacité à maintenir la vitesse jusqu’au dernier appui, et une telle explosivité au moment de l’impulsion. Bien sûr, un seul saut ne garantit rien sur le long terme, mais certains premiers repères chronométriques ou métriques dessinent d’emblée des trajectoires qui valent qu’on s’y attarde. Maguire semble appartenir à cette catégorie.
Enfin, à Lee Valley dans le nord de Londres, c’est Celine Obinna-Alo, 15 ans, qui a capté la lumière avec un 7’’34 sur 60 m, battant le record britannique U17 détenu depuis 2007 par Asha Philip (7’’35). Une performance qui, même si elle apparaît comme la suite logique d’une progression déjà impressionnante, n’en demeure pas moins saisissante par sa maturité. Obinna-Alo avait déjà remporté le titre national U17 en 7’’38 en 2025, puis couru 11’’69 sur 100 m au printemps malgré un vent contraire de –2,2 m/s. Ses références de décembre 2024 (7’’59 et 7’’67) puis celles de février 2025 (7’’38) racontaient une progression constante, mais rien ne laissait présager un tel bond dès le début de l’hiver. Sous la houlette de Richard Kilty, ancien champion du monde en salle, elle a développé une puissance rare pour son âge, alliée à une fréquence parfaitement maîtrisée. Elle ne court pas comme une adolescente, mais comme une sprinteuse déjà aboutie, expliquant sa domination dans les courses de sa catégorie d’âge. La portée de son chrono dépasse la simple dimension nationale : elle grimpe désormais au 7e rang européen U18 de tous les temps, à égalité avec sa compatriote Amy Hunt, désormais vice-championne du monde du 200m. Et surtout, elle réalise cela en décembre, à un moment où la majorité des sprinteuses n’ont même pas encore commencé leur saison.